CONCLUSION

HAÏTI À L’ÉPREUVE DE L’UNIVERSALISME OCCIDENTAL

« La couleur ne peut se comprendre qu’en relation avec le sujet qui la perçoit », écrit le physicien monsieur Pierre Demers, dans la préface de «Haïti, Que La Lumière Soit !». Il confirme clairement la pertinence de notre présent Essai. Nous avons, en effet, cru utile de nous pencher d’abord sur l’attitude civilisationnelle (politico-religieuse) de l’Occident face aux Noirs, avant de déceler les carences de la Science actuelle — à prédominance occidentale — dans sa perception de l’univers noir.

L’attitude politique de l’Occident vis-à-vis des Noirs est, sans conteste, conditionnée depuis de nombreux siècles par la relation perverse dominant — dominé, maître — esclave, exploiteur — exploité. Et, afin de normaliser sa politique d’asservissement économique des Noirs, nous constatons que la civilisation judéo-chrétienne est allée même jusqu’à utiliser le christianisme pour légitimer ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui des « crimes contre l’humanité », tel le système «d’esclavagisme raciste» propre à l’Occident. État de choses qui fut, il est vrai, facilité par le fait que cette religion monothéiste, originellement universaliste, avait très tôt limité ses vastes horizons universels aux seuls contours de l’Occident, tandis que les autres peuples, qu’elle croit avoir attirés vers elle, semblent être là malgré eux. D’aucuns pourraient se demander si un tel abandon par l’Occident de l’universalisme du christianisme n’explique-t-il pas déjà cette incapacité de la civilisation judéo-chrétienne à se doter d’une attitude universaliste, non seulement au niveau politique, mais aussi dans le domaine de la Science.

En effet, la Science actuelle, dominée depuis quelques siècles par l’Occident, peut difficilement prétendre à l’universalisme, profondément entachée qu’elle est par le « sujet occidental » qui la perçoit ; lequel sujet a, nous le savons, perdu toute dimension authentiquement universaliste. N’a-t-il pas, en usant et abusant de la Bible, tenté de prouver la supériorité du Blanc occidental sur le Noir et sur les autres « peuples de couleur », limitant là aussi les vastes horizons universalistes de la Science aux seuls contours de l’Occident ? De fait, tout semble indiquer que la Science n’est plus universelle ; elle est « occidentale », avec toutes les conséquences que cela implique pour l’humanité et plus spécialement pour le Monde noir.

En d’autres termes, « l’optique occidentale », « l’approche occidentale » est loin d’être scientifique, neutre, objective ; elle est subjective et déformante. Subjectivité et déformation qui se manifestent avec encore plus d’évidence, comme nous l’avons constaté, dans le domaine des couleurs et plus particulièrement lorsqu’il s’agit du concept « noir ». Il faut dès lors faire appel aux sciences sociales (histoire, psychologie, psychanalyse, sociologie, sciences politiques, etc…) pour comprendre ce handicap occidental. En effet, dès qu’il s’agit de Noir, la raison occidentale vacille pour laisser place à l’irrationnel et à son cortège de phantasmes.

Notre préfacier physicien, disant avoir effectué un « virage vers la couleur » en 1974, affirme avoir été « de plus en plus séduit par le caractère multidisciplinaire et profondément humain de ce domaine », le domaine de la couleur. Il souligne que « la connaissance rationnelle de la couleur ne peut s’approfondir qu’en faisant intervenir toutes les sciences : chimie, biologie, physiologie, mathématiques ». Or, insiste-t-il, « encore une fois l’être humain intervient, il est à la fois le créateur et le porteur obligé de toute science : il est doublement vrai qu’il n’y a pas de connaissance rationnelle de la couleur en dehors de l’humanité ». Il reconnaît ainsi avec nous, quoique de manière indirecte, que l’actuelle connaissance de la couleur laisse beaucoup à désirer. N’est-elle pas conditionnée par la civilisation dominante contemporaine, depuis longtemps polluée par les préjugés à l’égard des « peuples de couleur », et de couleur noire, bien sûr ?

Un tel grave handicap occidental compromet, évidemment, la bonne marche de la Science universelle comme de l’humanité entière, toutes deux victimes d’une vision raciste et donc anti-scientifique, égoïste et limitée du monde. Le cas d’Haïti, pour ne prendre que cet exemple que nous connaissons bien, est symptomatique de l’attitude non-universaliste de ceux qui dominent aujourd’hui le monde, les Occidentaux. Car s’il est encore possible d’apporter assez rapidement, au niveau scientifique, des correctifs à la vision erronée de la « chose Noire », il est bien plus difficile, sur le plan social, d’améliorer du jour au lendemain les comportements humains, les mentalités n’évoluant qu’avec lenteur. En attendant, nous ne pouvons que le constater : l’Occident continue toujours à traîner derrière lui son boulet de préjugés anti-noirs et ce, aussi bien au détriment du Monde occidental que du Monde noir.

Haïti continuera-t-elle, à l’aube du XXIe siècle, deux cents ans après la Déclaration des Droits de l’Homme, à vivre comme au XVIIIe siècle ces relations maîtres-esclaves dont l’apparence seulement à changé, puisque 80% du peuple vit dans des conditions abjectes, privé du simple droit à l’éducation, sans parler des libertés les plus élémentaires ? 

Profonds et graves propos que ces interpellations !

Dans ses relations avec les « peuples de couleur », l’Occident n’a-t-il pas toujours soutenu des dirigeants qui, tout en lui étant de véritables esclaves dociles, s’affirment comme des tyrans de leurs propres peuples ? C’était en Haïti le cas d’abord du régime dictatorial des Duvalier, puis celui des putschistes militaires du 30 septembre 1991. Or, de toute évidence Haïti ne correspond plus du tout à cet archétype où il serait question de « maître-esclave, esclave-tyran ». Ce qui explique bien sûr l’attitude objective de l’Occident face au retour à la légitimité constitutionnelle en Haïti.,

Il ne fait pas de doute que l’attitude occidentale à l’égard d’Haïti est actuellement caractérisée par la nature profondément bienveillante qui anime les dirigeants occidentaux. En effet, après avoir d’une part soutenu du bout des lèvres des leaders haïtiens légitimes tout en consolidant d’autre part le pouvoir militaire illégitime de jadis en Haïti, voilà que ce même Occident, face à une dévastation d’origine tellurique massive de la population haïtienne et d’Haïti, s’intéresse sérieusement au retour au pouvoir d’un pouvoir bien légitime. En réalité, le geste humanitaire du Président américain Barack Obama, largement secondé par des prédécesseurs dont le Président Clinton — comme du Congrès — loin d’avoir été dicté par des comportements émotionnels, semble plutôt avoir été provoqué par des principes universalistes loin des phantasmes politico-culturels face aux Noirs. Ce n’est plus le temps où les réfugiés haïtiens de la mer dits « boat people » de plus en plus nombreux mettant pied sur les côtes américaines étaient perçus telle une véritable « marée noire ». qui vient « polluer » la blancheur américaine . Visiblement, les considérations humanitaires évoquées à ce sujet ne relèvent que d’une saine et bien humaine politique.

Du coup le charisme et la crédibilité des leaders américains Bill et Hillary Clinton sont perçus comme une planche de salut contre cette « misère noire » que l’Amérique, l’Orient comme l’ensemble de l’Occident préfèrent prévenir, secourir sur place ou à distance pour un mieux-être en Haïti. N’est-ce pas là un prélude à des comportements rationnels touchant les politiques occidentales face au mouvement migratoire mondial et aux rencontres inévitables des « peuples de couleur » avec les sociétés de civilisation judéo-chrétienne ?

Quoi qu’il en soit, à l’instar du domaine de la Science dont l’universalisme est actuellement encore très contestable, la réalité de la politique mondiale de l’Occident s’éloigne de moins en moins de l’universalisme pour tomber dans un quasi particularisme, œuvrant uniquement pour la promotion et la suprématie du Monde blanc.  À cet égard, n’est-il pas très juste de citer le philosophe universaliste Anaxagore qui affirme : « le visible ouvre nos regards sur l’invisible » ? Au carrefour du troisième millénaire la Science, à l’instar de la Couleur, peut se comprendre en féconde et mutuelle relation avec le sujet qui la perçoit.

 

Lucien Bonnet